Chapitre XIII

La ville de Fréquor était en vue. La colonne progressait lentement au rythme épuisé des dalkas. Xil rejoignit Yvain qui l’interrogea du regard. Après une dernière hésitation, il murmura :

— Quand nous serons arrivés, pourriez-vous demander au capitaine de Guerreval de me détacher à votre service ? Je n’ai guère envie de regagner mon unité.

— Pourquoi ?

— Je ne suis pas militaire par vocation.

— Tu te débrouilles fort bien. Explique-toi.

Xil secoua la tête, apparemment très gêné.

— Je travaillais dans une ferme comme employé chargé des écuries et des cochons. Le maître avait une fille, pas très jolie mais gentille et je me suis intéressé à elle.

— De très près ?

— Assez pour lui faire un enfant ! Ce n’était pas entièrement de ma faute. Un soir, elle est venue me trouver dans le coin de l’écurie où je logeais. Elle était très gaie et m’a prodigué agaceries et mignardises.

— Bref, elle t’a violé, ironisa Yvain.

— C’est presque exact mais je dois reconnaître que je ne me suis pas énergiquement défendu. Quand le maître l’a su, il est entré dans une colère terrible. Il a pris un énorme coutelas et il voulait me châtrer comme les porcs. J’ai réussi à m’enfuir et je me suis caché à Fréquor.

Il s’interrompit la tête basse.

— Il me fallait bien survivre. J’ai tenté de travailler mais je ne pouvais donner de références. Aussi, il m’est arrivé de faire quelques emprunts dans la bourse des bourgeois. Un jour, j’ai été surpris et mon volé, d’une force peu commune, m’a remis aux gens du guet. Mon procès a été vite expédié et j’ai été condamné à la pendaison. La veille de mon exécution, le roi a décidé de faire la guerre et messire de Guerreval a levé des hommes jusque dans les prisons. Je me suis aussitôt porté volontaire et c’est ainsi que je me suis retrouvé le crâne à moitié fendu sur le champ de bataille.

— Pourquoi vouloir me suivre ? Tu as pu te rendre compte que ce n’était pas de tout repos. Mieux vaudrait pour toi regagner ton poste.

Xil secoua la tête à plusieurs reprises.

— Je préfère être avec vous. Vous savez commander mais vous ne nous méprisez pas comme les autres chevaliers qui n’hésitent pas à nous piétiner si cela gêne leur marche.

— Entendu, j’en parlerai au capitaine mais je ne pense pas que tu fais le bon choix. Avec moi, il y aura plus de coups à recevoir que de solde à percevoir. Je n’ai pas d’argent en dehors des quelques écus gagnés au tournoi.

— Je crois au contraire que vous ne tarderez pas à faire fortune. J’en ai l’intuition.

Yvain éclata d’un rire joyeux pour la première fois depuis longtemps.

— Je souhaite que ton instinct soit plus sûr que ton jugement.

L’arrivée de la colonne au château créa une immense surprise.

Femmes, hommes et bêtes étaient épuisés et couverts de la poussière du chemin. Cependant, la reine gardait toute sa dignité. En mettant pied à terre devant des serviteurs empressés, elle dit à Yvain :

— Ne vous inquiétez pas pour votre sœur. Je la prends parmi mes demoiselles d’honneur et elle logera avec celles-ci.

Se tournant vers de Gallas, elle ajouta :

— Je sais que vous avez un appartement près de celui de mon fils. Je vous demande de prendre en charge messire Yvain et de veiller à ce qu’il ne manque de rien.

Karlus apparut alors, le manteau royal sur ses épaules. En un regard, la reine comprit. Son visage resta impassible, seule une larme coula sur sa joue. Johannès n’avait peut-être pas toutes les qualités, leur mariage avait été arrangé par leurs parents respectifs. Cependant, elle l’avait aimé presque comme un enfant. Il était batailleur et parfois un peu injuste mais il aimait tant la chevalerie ! Jamais il n’avait regardé d’autres femmes ou même songé qu’il pouvait en exister une autre. Il était d’une belle force rassurante. Un vide se fit dans son cœur. Elle pleura cet homme tendre et fidèle qui dans son existence n’avait jamais commis d’actions viles ou contraires à l’honneur.

Karlus eut un sourire pour son ami de Gallas, soulagé de le voir en vie. Il embrassa tendrement sa mère puis l’aida à regagner son appartement, très désireux d’entendre son récit.

Paul conduisit son invité par un escalier en spirale au deuxième étage d’une tour.

— Prenez cette chambre, dit-il en montrant une pièce contenant un lit, une table et un tabouret de bois. La mienne est à côté et votre serviteur pourra coucher dans le vestibule. Installez-vous confortablement. Dès que je me serais changé, je souhaite voir le prince Karlus pour lui rendre compte de notre odyssée.

Yvain ôta ses bottes, son pourpoint et s’allongea sur le lit en soupirant.

— Trouve-moi un seau d’eau pour que je puisse enfin me laver.

Xil ne tarda pas à revenir, traînant un baquet. Il aida Yvain à enlever sa chemise. En voyant les nombreuses déchirures, il s’exclama :

— Je ne pense pas qu’elle pourra resservir.

Il acheva de la déchirer et tamponna doucement les trois estafilades qui zébraient le thorax du jeune homme. Tout le corps était constellé d’ecchymoses qui viraient au violet.

— J’ai rarement vu un corps aussi meurtri, souffla-t-il. Pourtant, je ne vous ai jamais entendu vous plaindre.

— Gémir n’enlève pas la douleur. Mon maître m’a appris qu’il fallait savoir la dominer et non se laisser dominer par elle.

— Belle maxime mais je ne sais si je saurais l’appliquer.

Laissant Yvain à sa toilette, Xil s’éclipsa pour revenir un quart d’heure plus tard avec un plat recouvert d’un linge qu’il déposa sur la table ainsi qu’un gros pichet.

— Je suis allé faire un tour aux cuisines que notre arrivée inattendue avait mises en émoi. J’ai profité de l’affolement des marmitons pour subtiliser cette volaille et ce vin, pensant que vous auriez faim et soif.

— Tu es un homme plein de talents que je ne connaissais pas.

— Pour survivre sans argent dans une ville, il faut savoir se débrouiller.

— Je ne veux rien entendre de plus car un ventre affamé n’a pas d’oreille.

Il s’assit sur le tabouret et arracha une cuisse dans laquelle il mordit à pleines dents.

— Sers-toi, marmonna-t-il la bouche pleine, avant qu’on ne découvre ton larcin. Disparue la preuve, disparue la faute !

Xil s’empressa d’obéir mais tout en mangeant, il conta les nouvelles glanées auprès du personnel, la mort du roi Johannès et l’avènement de Karlus.

La carcasse proprement raclée et le pichet vidé jusqu’à la dernière goutte, Yvain se coucha, heureux à l’idée d’une nuit entière de repos.

Il lui sembla n’avoir dormi que peu de temps lorsqu’un frôlement l’éveilla. La chambre était plongée dans l’obscurité. Une faible lueur apparaissait à la fenêtre. Elle lui permit de distinguer une silhouette féminine qui laissait glisser sa robe sur le dallage de pierre.

Immédiatement après, un corps jeune et souple se glissait sous la couverture et venait se coller contre lui.

— C’est la reine qui m’envoie. Elle pense que vous avez mérité une récompense après tous vos exploits.

À la voix, Yvain reconnut la brunette qui avait fui Pendarmor avec la souveraine.

— Je m’appelle Risa, murmura-t-elle avant de coller ses lèvres sur les siennes.

Au contact de ce corps soyeux, Yvain sentit son pouls s’accélérer. Toutefois, il eut un instant d’hésitation car il se souvenait que la fille paraissait très jeune.

— J’ai dû subir de nombreux Godommes et la reine pense que tu pourras me faire oublier ces mauvais moments.

Ses scrupules apaisés, Yvain se laissa aspirer par un délicieux tourbillon.

 

Quand Yvain ouvrit les yeux, le soleil pénétrait dans la chambre. Il sentait qu’on le secouait vigoureusement par l’épaule. Il étouffa un bâillement car sa joute s’était poursuivie tard dans la nuit. Risa avait fait preuve de beaucoup d’imagination pour ranimer ses forces défaillantes après chaque assaut. Comme il tâtait machinalement le lit, Xil dit avec un très discret sourire :

— Elle est repartie avant l’aube. Maintenant, il faut vous presser car le roi vous attend dans son cabinet de travail. Il a même pensé à vous faire porter des vêtements.

Il lui présenta une chemise de fine toile blanche, des braies d’une belle couleur rouge et un pourpoint de cuir d’une grande douceur au toucher. La description de son ami faite par de Gallas avait été exacte car les habits étaient parfaitement adaptés à sa taille. Pour terminer, il enfila une paire de bottes souples.

Guidé par Xil qui avait déjà reconnu les lieux, Yvain ne tarda pas à atteindre les appartements royaux qui occupaient un étage dans la tour qui servait de donjon. Karlus avait préféré garder ses habitudes et avait refusé de s’installer dans les appartements de son père qui étaient certes plus grands pour recevoir sa cour mais dont le décor ne lui plaisait pas. Trop d’armes suspendues au mur, de cuirasses en partie rouillées que le moindre courant d’air faisait grincer et surtout aucun endroit pour ranger ses précieux manuscrits. Enfin, Johannès qui méprisait les plumitifs n’avait même pas un coin pour écrire.

 

Karlus était bien tel que Paul l’avait décrit. Long, mince comme un adolescent poussé trop vite et au torse peu développé. Il portait une chemise et des braies mauves, couleur du deuil à Fréquor. Il était installé en compagnie de Paul derrière une table abondamment garnie de victuailles. Un serviteur attentif se tenait derrière le roi. Intimidé, Yvain salua profondément.

— Asseyez-vous, dit le roi en désignant un tabouret et mangez vite car je crois que vous avez besoin de reconstituer vos forces.

Le serviteur déposa devant Yvain une assiette d’étain où se trouvait un énorme morceau de pâté en croûte.

— Je vous adresse moult remerciements pour avoir délivré ma mère. J’étais marri de la savoir prisonnière de Radjak.

— Messire de Gallas a beaucoup contribué à ces actions.

Le roi ébaucha un sourire qui éclaira son visage.

— Paul m’a fait un récit très fidèle de votre équipée. Nous savons que vous avez été l’instigateur et le principal instrument de la prise de Pendarmor. De plus, de Guerreval a loué votre courage. Je l’ai en grande estime et j’apprécie ses jugements.

Le serviteur emplit à nouveau l’assiette d’Yvain de deux tranches de viande et d’une cuisse de volaille.

— Vous avez très habilement manœuvré, poursuivait le roi. Bien que vous ne soyez âgé que de dix-huit ans, vous avez les qualités d’un chef. Or, c’est ce qui manque le plus à mes armées. Soyez sans crainte pour votre avenir, je saurai vous employer.

Yvain remercia d’un signe de tête car il avait la bouche trop pleine pour pouvoir parler. Quand il fut repu, il regarda les nombreux volumes alignés sur des étagères. Le roi perçut son regard plein de convoitise.

— Ma mère m’a également dit que vous aimiez les manuscrits. Je serai heureux de vous montrer les miens. Toutes les connaissances des lettres et des sciences sont réunies ici. Mon rêve serait de fonder une grande bibliothèque où tous ceux qui le désirent pourraient venir s’instruire et les consulter.

Un soupir s’échappa de sa poitrine quand il ajouta :

— Malheureusement, je ne sais si les Godommes nous laisseront le temps de l’installer.

Le serviteur présentait maintenant au roi une grande aiguière de métal doré. Il versa lentement de l’eau sur les mains puis tendit au roi un linge pour qu’il s’essuie. Ensuite, ce fut le tour de Paul qui semblait trouver cela naturel. Hésitant, Yvain les imita. Ce luxe l’impressionnait mais il trouvait agréable de ne pas avoir besoin de s’essuyer les mains sur ses habits neufs.

— Un conseil doit se réunir maintenant, dit Karlus, et j’aimerais que vous y assistiez car je souhaite votre avis sur plusieurs points. Accompagnez-moi !

Suivi d’Yvain très mal à l’aise, le roi pénétra dans la salle du conseil. La reine était déjà assise à la droite du fauteuil de roi. Elle portait une longue robe mauve signant son état de deuil. Karlus s’inclina devant sa mère avant de dire :

— Vous connaissez messire Yvain. Il sera à même de nous décrire la situation des Godommes.

— C’est une sage décision, mon fils.

Le grand argentier se présenta. Il avait la mine fatiguée de celui qui n’a guère dormi de la nuit. Il déposa plusieurs parchemins devant le roi.

— Voici un premier état des finances que j’ai réussi à établir. Comme nous le craignions, la situation est mauvaise et les caisses pratiquement vides. Il faudra lever un impôt sur les marchands et les bourgeois pour entreprendre une nouvelle campagne.

— Que cela soit fait immédiatement.

Henri de Guerreval arriva alors, très étonné de cette convocation.

— J’ai décidé de vous faire entrer dans mon conseil. Asseyez-vous à ma gauche et prenez le jeune d’Escarlat à côté de vous.

À peine installé, le capitaine murmura à l’oreille d’Yvain :

— Le bruit de vos exploits est parvenu jusqu’à mes oreilles. Xil n’a pu s’empêcher de parler à ses anciens compagnons. Même s’il a un peu exagéré vos mérites, je dois reconnaître que vous avez obtenu des résultats remarquables. Je pense avoir eu raison de vous laisser partir. Pour un chevalier, vous avez une bonne cervelle.

— À propos de Xil, pouvez-vous l’affecter à mon service ? Le drôle est fidèle et efficace. Je lui dois beaucoup.

— Entendu mais surveillez-le. Je me suis laissé dire qu’il avait la main leste pour fouiller dans les poches d’autrui.

— Les miennes étant vides, son butin sera maigre, sourit Yvain.

L’arrivée de la princesse escortée du connétable et de son fils les interrompit. Elle s’immobilisa sur le seuil en découvrant le nombre des participants. Elle avait espéré un comité restreint comme la veille pour pouvoir influencer son frère. Dissimulant son dépit, elle s’assit près de la reine tandis que ses deux amis prenaient également place. Elle réprima un haut-le-corps en découvrant Yvain de l’autre côté de la table. Son regard se chargea de mépris et se détourna aussitôt. Enfin, Igor de Udinov, le grand alchimiste, fit son entrée, tenant sous le bras un petit coffret. Il avait la mine fatiguée de celui qui n’a guère dormi.

— Le conseil étant au complet, nous pouvons commencer, dit le roi. Maître alchimiste, vous semblez impatient de prendre la parole.

— Oui, Sire. J’ai étudié selon vos instructions les racines noires que nous ont ramené messire de Gallas et messire d’Escarlat. Mes aides et moi-même avons passé la nuit à les analyser et je peux dire sans hésitation que le secret de la force de nos ennemis est percé.

Il ouvrit son coffret et en tira deux sachets contenant chacun une racine.

— Les plants des Godommes sont de la même famille que nos Gyoguclia Brutus qui poussent près des montagnes de l’Est. Le suc est utilisé par notre confrérie pour stimuler l’activité du fluide vital de notre corps. Il entre également dans la composition de nombreux philtres aphrodisiaques…

Le connétable et son fils ne purent étouffer un petit rire qui vexa fort Udinov. Le roi rétablit rapidement le silence et le maître alchimiste put continuer.

— Ce traitement plonge le patient dans une sorte d’euphorie qui accroît sensiblement ses performances physiques. Toutefois le médicament reste dangereux car une forte dose entraîne une accélération excessive du cœur qui peut se déchirer sous l’effort. La racine noire de nos ennemis a reçu après sa coupe un traitement mystérieux dont je n’ai malheureusement pu analyser toutes les phases. L’efficacité du produit a été décuplée et les quelques expériences que j’ai mises au point sur des animaux montrent qu’il n’est pas toxique et n’entraîne pas d’accidents cardiaques. Un être mâchant ces racines voit instantanément sa force augmenter pour une durée de deux à trois heures. Cependant, à long terme, les chevaliers porteurs du cristal gardent un avantage certain puisque son effet est permanent.

— À condition d’être toujours en vie, marmonna de Guerreval. Pourrions-nous obtenir un tel philtre pour nos hommes d’armes ?

— Je crains que non. Certains éléments entrant dans sa composition dépasse mon entendement. Le Gyoguclia Brutus est rare et fort cher. Sa cousine godomme doit l’être encore plus. Nous pouvons espérer que nos ennemis en seront bientôt à court.

Le roi avait un visage soucieux et les réponses qu’il entendait ne l’enchantaient guère. Le Csar devait avoir un allié de poids pour obtenir une telle avance sur son maître alchimiste qui jouissait d’une grande renommée. Ses préparations avaient guéri nombre de malades, ce qui procurait des revenus substantiels au temple.

— Merci, maître Udinov. Nous considérerons que les réserves des Godommes sont suffisantes pour terminer la campagne. Nous devons préparer notre défense sans nous en remettre au hasard. Connétable, nous vous écoutons.

— Selon votre désir, j’ai envoyé des éclaireurs sur les différentes routes menant à Fréquor. Il semble bien qu’ils se sont repliés.

— De simples pillards qui fuient après leurs vols, surenchérit la princesse.

Impassible, Karlus demanda :

— Votre avis, capitaine de Guerreval ?

— Je crois que cette retraite est temporaire et essentiellement due à l’action de messire Yvain qui a perturbé ses arrières en détruisant les châteaux d’Escarlat et de Pendarmor.

La princesse poussa un cri car elle n’avait pas été informée des détails de la libération de sa mère.

— Il a osé incendier notre bien ! Une citadelle se prend ou se perd mais les bâtiments sont respectés.

— Il a agi sur mon ordre, lança sèchement la reine. Je ne voulais pas laisser une telle place forte aux Godommes.

— Nous l’aurions reprise, plaida Priscilla non encore convaincue. L’ennemi s’est retiré dans son pays et doit bien rire de nous. Même s’il était encore dans les murs, nos preux l’auraient prise d’assaut au grand jour et non par des ruses tortueuses.

D’une petite tape de la main sur la table, le roi rétablit le silence et invita de Guerreval à poursuivre.

— Lorsqu’il aura constaté qu’il n’a plus d’ennemis sur ses arrières, le Csar des Godommes reprendra son avance sur Fréquor.

— Pourquoi n’a-t-il pas envoyé un simple détachement ? dit le connétable.

— Pour garder son armée groupée. Il a compris que des unités isolées pouvaient être battues comme cela s’est produit quand elles m’ont attaqué. Il a certainement tiré la leçon de ces échecs. Il sait que seule son énorme supériorité numérique peut lui apporter la victoire.

La reine approuva de la tête.

— J’ai été la prisonnière de Radjak et il ne m’a pas caché qu’il voulait non seulement prendre Fréquor mais tout le royaume et ceindre la couronne. Il avait même cyniquement envisagé de m’épouser. Toutefois, quand il vous verra, Priscilla, je pense qu’il changera d’avis et vous choisira.

La princesse sursauta et son visage s’empourpra.

— Jamais je ne consentirai à une telle mésalliance.

— Pour vous convaincre, il pourrait utiliser des moyens aussi brutaux que cruels, soupira la reine qui se souvenait des sévices subis. C’est pourquoi il est préférable de ne pas perdre la dernière bataille.

— C’est également mon avis, sourit le roi. Que proposez-vous, messires ?

Ce fut le connétable qui répondit le premier.

— J’ai déjà envoyé en votre nom des messagers pour convoquer les barons en demandant qu’ils amènent tous les hommes d’armes dont ils disposent. Dès qu’ils seront arrivés, nous pourrons affronter les Godommes en une grande bataille.

— Ils seront encore beaucoup plus nombreux que nous, grogna de Guerreval. Yvain et Paul de Gallas ont vu défiler l’armée de Radjak. Il a rassemblé plusieurs milliers hommes.

La princesse intervint d’une voix dure :

— J’étais très proche de notre père et je puis affirmer qu’il aurait agi comme le propose le connétable, en preux chevalier qu’il était. Mon frère, vous n’avez ni participé ni même assisté à une bataille et il vous est difficile de comprendre ce qu’est un chevalier de Fréquor. Dans nombre de nos récits…

— Je vous en prie, la coupa le roi. Je connais aussi bien que vous ces fables. Toutefois, nous n’écrivons pas une chanson de geste mais nous devons protéger notre royaume.

— Nous devons avant tout être fidèle à notre idéal, riposta Priscilla. Un preux triomphe toujours de ses ennemis aussi nombreux soient-ils. À lui seul, messire Renaud est capable de terrasser cent adversaires.

— Que ne l’a-t-il montré lors de la bataille, ironisa Karlus.

Il imposa le silence à sa sœur d’un geste de la main.

— Je ne suis pas allé sur un champ de bataille et cela me donne la possibilité de juger avec impartialité. Je constate qu’il y a des perdants d’un côté mais aussi des gagnants d’un autre. Vous comprendrez que ce soient surtout eux qui m’intéressent. Il est indéniable, connétable, que les Godommes ont écrasé votre troupe et tué deux cents des nôtres. La poignée de chevaliers qui a survécu n’a dû son salut qu’à une fuite rapide. En revanche, messire de Guerreval a, par deux fois, défait l’adversaire et Yvain a repris Pendarmor et délivré la reine.

Sans paraître remarquer la pâleur subite du connétable, il se tourna vers de Guerreval.

— Votre avis, capitaine ?

— Il est probable que vos barons mettront beaucoup de temps pour arriver.

— Ne pouvons-nous nous retrancher dans la ville en les attendant ?

— En quelques jours, il est impossible d’amasser les provisions indispensables pour soutenir un siège. De plus, nous manquerons d’hommes d’armes pour garnir les murailles.

— Qu’en pensez-vous, messire Yvain ?

— Je crois que le capitaine a raison, dit le jeune homme très intimidé de parler devant ces nobles. Les Godommes sont de rudes combattants très entraînés au maniement des armes, ce que ne sont pas les habitants de Fréquor.

Karlus hocha lentement la tête, le front couvert de rides soucieuses.

— Que proposeriez-vous ?

Le capitaine se leva pour approcher d’une carte suspendue au mur. Elle représentait les contours du royaume dessinés à grands traits et l’emplacement des villes.

— Si nous affrontons les Godommes en un grand combat, il est certain que nous serons vaincus une nouvelle fois.

— Ridicule, clama la princesse, ce ne sont que des vilains.

— Ils ont certainement tous les défauts, railla de Guerreval, ils ne sont pas nobles, n’ont pas de cristal et n’ont jamais connu les chansons de geste mais comme le disait Yvain, ils savent se battre et ils en ont fait la démonstration. De plus, Radjak leur a appris à manœuvrer et à obéir à ses ordres. Le connétable en a supporté les conséquences.

Il aspira une large bouffée d’air qui gonfla son pourpoint. Pointant sa main de fer vers la carte, il dit :

— Sire, voilà ce que je suggère. Il faut abandonner Fréquor et vous replier vers le sud. Chemin faisant, nous rassemblerons tous les paysans et les pousserons devant nous. Ce que nous ne pourrons emporter devra être brûlé. L’ennemi ne devra trouver qu’un désert où il ne pourra se ravitailler. Cela devrait affaiblir ses forces.

— Quand arrêterons-nous notre retraite ?

— Vous établirez votre capitale à Rixor où vous disposez d’une grande forteresse. Pour y arriver, il faut traverser une chaîne de montagnes. Le seul passage est un col étroit. Il sera facile d’y installer une ligne de défense solide car l’ennemi ne pourra ni étaler sa cavalerie ni tenter des manœuvres de débordement. Il nous suffira d’occuper les flancs de la montagne d’où les archers pourront tirer à leur aise.

De pâle qu’il était, le visage du connétable était devenu rubicond.

— Reculer sans livrer bataille est une infamie à laquelle je ne peux souscrire.

Impassible, le roi s’adressa à Yvain qui répondit :

— En peu de jours, j’ai combattu et tué nombre de Godommes. J’ai aussi appris à les connaître et je pense que messire de Guerreval dit vrai. Il faut les affaiblir avant de les affronter. Nous avons pu vaincre de petits détachements mais nous échouerons devant une armée groupée.

Le roi resta un long moment silencieux avant de soupirer :

— Je souhaite encore réfléchir avant de prendre une décision définitive mais je demande au capitaine de Guerreval de dresser le plan d’une évacuation de la ville.

Il se leva et sortit, accompagné par la reine qui adressa un discret sourire à Yvain. La princesse les imita suivie du connétable et de son fils. Dans le couloir, elle laissa éclater sa colère.

— Mon frère est indigne de régner ! Aux conseils de preux chevaliers, il préfère ceux de vilains. Je pensais pouvoir lui transmettre les conseils de notre père mais il n’a rien voulu entendre. Je m’inquiète de l’influence qu’exerce ce jeune d’Escarlat sur lui. Je sais qu’il a déjeuné ce matin dans les appartements du roi. Nul doute qu’il a commencé à pervertir son esprit. Nous devons songer à la manière de nous en débarrasser.

— Je crois avoir une idée, dit Renaud en s’éloignant à grands pas.

 

*

* *

 

Dans la cour du château, de Guerreval discutait avec Yvain car il voulait connaître tous les détails de son équipée. Renaud de Norvak marcha vers eux à grandes enjambées. Ignorant de Guerreval, il apostropha Yvain.

— Conseiller au roi de faire retraite est le témoignage d’une grande lâcheté.

— J’ai dit ce que je pensais. Restons-en là.

— Comme votre père, vous n’êtes qu’un médiocre combattant qui cherche seulement à se concilier les faveurs du souverain.

L’évocation de son père obscurcit le jugement d’Yvain qui ne voyait pas les gestes du capitaine lui demandant de le suivre.

— Mon père est mort au combat, rétorqua-t-il furieux. Lui n’a pas fui l’ennemi comme certains.

Ce fut au tour de Renaud de blêmir.

— Me traitez-vous de poltron ?

— Je constate simplement que vous avez préféré courir derrière la princesse plutôt que d’affronter les Godommes.

— Pour cette insulte, je vous défie en champ clos et en appelle au jugement de l’Être Suprême. Retrouvons-nous dans deux heures à l’endroit des duels. Messire de Guerreval vous le montrera et acceptera certainement de vous servir de témoin.

Renaud fit demi-tour et partit en faisant claquer le talon de ses bottes sur les dalles de pierre. Le capitaine poussa un long soupir.

— Votre présence au conseil a contrarié certaines personnes et on a décidé de vous éliminer. De Norvak vous a tendu un joli piège dans lequel vous êtes tombé.

— Je ne comprends pas.

— Se souvenant de la défaite que vous lui avez infligée au tournoi, il a préféré vous défier à pied. En champ clos, les adversaires se battent en armure mais sans monture.

— À pied ou sur un dalka, je lui ferai rentrer ses paroles dans la gorge, grogna le jeune homme.

— Il y a un détail que vous ignorez. Renaud porte sous son armure une cotte de maille. Une véritable merveille qui a coûté une fortune à son père. C’est grâce à elle qu’il n’a pas été tué lors de la bataille. Aucun coup de pointe ne peut la percer.

— Alors, je l’assommerai ! Pour l’instant, il me faut trouver une armure mais je ne sais si je pourrai la payer.

— Dès mon arrivée à Fréquor, j’ai confié la vôtre au forgeron. Normalement, elle devrait être prête.

 

Le champ clos était un espace aménagé dans une arrière-cour du château. Des barrières de bois délimitaient une zone circulaire d’une vingtaine de mètres de diamètre. Un peu plus loin se dressait une estrade où le Grand Prêtre revêtu de sa robe rouge de cérémonie avait pris place. Il avait à sa droite le connétable et Henri de Guerreval à sa gauche. La princesse se tenait en retrait, entourée de quelques courtisans. De Gallas arriva en courant et se glissa au dernier rang.

— Introduisez les combattants, ordonna le Grand Prêtre.

Renaud arriva le premier, monumental dans son armure brillante. Il fut vite suivi d’Yvain dont le cœur battait très fort. Il n’avait jamais assisté à cette sorte de combat. Il s’efforça de faire le vide dans son esprit et de ne penser qu’à Maître Cartignac. Les deux adversaires s’immobilisèrent devant l’estrade.

— Vous avez fait appel au jugement de l’Être Suprême, dit le grand prêtre. Il tranchera votre différend dans son infinie bonté mais ceci est un combat à mort. Si l’un de vous le souhaite, il peut se retirer maintenant. Le combat commencé, il sera trop tard.

N’obtenant aucune réponse, il étendit le bras en un geste majestueux.

— Allez et que l’Être Suprême devant lequel un de vous va comparaître vous accorde sa miséricorde.

Sûr de sa force, Renaud attaqua le premier par un coup porté de haut en bas. Yvain para de son bouclier qui vibra sous le choc. Il n’eut pas le temps de riposter car son adversaire frappait de nouveau avec encore plus de force. Yvain sentait son bras s’engourdir tandis que le bouclier se déformait. Encore quelques chocs de cette violence et il ne le couvrirait plus.

Renaud leva très haut son épée pour donner plus de force à son coup. Yvain tendit vivement le bras et toucha son adversaire à l’épaule, juste au défaut de la cuirasse. Malheureusement pour lui, Renaud sentit à peine le choc car la pointe ne put pénétrer dans la chair. Yvain eut juste le temps de lever son bouclier pour éviter le coup destiné à lui fendre le crâne.

Avancer, frapper. Pour primitive qu’elle fut, la technique de Renaud s’avérait dangereuse et efficace. Déjà, il revenait à l’attaque. Cette fois, Yvain ne para pas mais évita la lame par un petit saut en arrière. Emporté par son élan, Renaud trébucha et aussitôt Yvain frappa de pointe atteignant la gorge juste entre le casque et la cuirasse. Encore une fois, la peau ne fut pas atteinte.

— Au diable, sa cotte de maille, marmonna le jeune homme.

Renaud poursuivait son assaut. À travers la visière de son heaume ses yeux brillaient de satisfaction. Par trois fois, Yvain esquiva les attaques par des bonds de côté. Cette tactique accrut la colère de Renaud qui sentait sa respiration s’accélérer.

La princesse se pencha vers le connétable pour murmurer :

— Ce vilain ne cherche plus à combattre et se contente de fuir. Renaud ne va plus tarder à l’achever.

Le connétable hocha la tête, le front marqué de rides soucieuses. Il n’avait pas été partisan de ce duel. Toutefois, il n’avait pu l’empêcher car son fils avait lancé son défi sans le consulter dans le seul but de complaire à la princesse. Il craignait la tactique de ce d’Escarlat qui cherchait manifestement à fatiguer son adversaire.

Renaud changea soudain de stratégie. Voyant que ses grands coups de taille n’atteignait pas son adversaire, il se fendit brusquement, confiant dans la qualité de son épée dont la pointe pouvait percer une cuirasse. Yvain évita cette estocade par un nouveau saut latéral mais, cette fois, il riposta. Sa lame frappa la jambe gauche encore tendue, juste derrière le genou, seul endroit qui n’était pas protégé par la jambière car il fallait permettre les mouvements de flexion-extension de la marche. Porté avec précision, le coup atteignit son objectif et l’acier mordit profondément dans les chairs.

Un cri échappa à Renaud qui se redressa en prenant appui sur sa jambe intacte tandis que la princesse soudain très pâle serrait les poings. Il voulut marcher de nouveau vers son adversaire qui s’était reculé mais son genou se déroba et il tomba sur le pavement tandis que du sang sourdait sur sa jambière. Il tenta encore de se relever mais il n’y parvint pas.

Yvain s’était immobilisé et n’avait pas cherché à exploiter son avantage bien que le duel ne doive pas s’arrêter au premier sang. Lentement, il se dirigea vers le Grand Prêtre sidéré par ce dénouement inattendu.

— Je ne veux la mort de personne. Si vous me proclamez vainqueur en disant que l’Être Suprême a jugé en ma faveur, je laisserai la vie à messire Renaud.

Hésitant, le Grand Prêtre consulta du regard le connétable qui hocha la tête en signe d’assentiment.

— Je déclare messire d’Escarlat vainqueur, finit-il par articuler d’une voix sourde car les mots avaient beaucoup de peine à sortir de sa gorge contractée.

Satisfait, Yvain sortit de la lice. Il fut immédiatement rejoint par de Guerreval qui l’entraîna dans ses appartements. Pendant ce temps, deux pages emportaient Renaud sur une civière.

Le capitaine, tout en aidant Yvain à retirer son armure, questionnait :

— Qui vous a enseigné cette ruse de frapper l’arrière du genou ?

— Mon maître d’armes. Il conseillait de ne l’utiliser qu’en dernier recours.

— Comment se nommait-il ?

— Cartignac et il était très âgé. Les Godommes l’ont tué lors de la prise de mon château mais il leur a fait payer très chèrement leur victoire. Il a eu une fière escorte pour son voyage dans l’au-delà.

Le regard perdu dans le lointain, le capitaine murmura :

— Cartignac… Ce nom ne m’est pas inconnu.

Soudain, il s’exclama :

— Mamac ! Le baron de sang ! Cartignac était le nom de sa mère.

Devant le regard interrogateur d’Yvain, il précisa :

— C’était il y a très longtemps, sous le règne du père du roi Johannès. À l’époque, j’étais un très jeune page. Le roi avait un favori, un colosse, une force de la nature mais guère malin. Comme il gagnait tous les tournois, le roi lui attribuait les vertus des preux chevaliers des contes qu’il affectionnait. Ce baron avait pris la mauvaise habitude de chercher querelle à tous ceux qui approchaient le roi de crainte d’être supplanté dans l’esprit du souverain. Plusieurs braves chevaliers trouvèrent ainsi la mort sous ses coups.

Henri poussa un soupir avant de poursuivre :

— Un jour, cette brute se querella avec le baron de Mamac. Naturellement, l’altercation se termina en champ-clos. À la surprise générale, Mamac fut vainqueur car il utilisa la même ruse que toi. Le roi fut très affecté de la mort de son favori.

— Moi, je n’ai fait que blesser Renaud, protesta Yvain.

Le capitaine secoua lentement la tête.

— Non, la blessure est mortelle à plus ou moins brève échéance car l’artère du genou est sectionnée et la victime se vide de son sang. C’est pourquoi il t’a demandé de n’utiliser cette botte qu’en dernier recours. Laisse-moi terminer. Une fois passée la surprise, le roi décida de venger son héros. Il affirma que le combat n’avait pas été loyal puisque la blessure avait été faite par-derrière. Il condamna à mort Mamac. Toutefois, ce dernier parvint à s’enfuir et à quitter Fréquor. Fou de colère, le roi promit une gigantesque récompense à qui lui ramènerait la tête du baron. Douze chevaliers partirent. Régulièrement, un écuyer revenait pour annoncer la mort de son maître tué en combat singulier. Tous périrent ainsi. C’est à ce moment que Mamac fut surnommé le baron de sang. Stimulés par l’appât du gain, nombre d’hommes tentèrent l’aventure mais aucun ne revint pour réclamer la récompense. Des années s’écoulèrent seulement marquées de loin en loin par l’annonce d’une nouvelle mort. La quête ne cessa qu’à l’avènement du roi Johannès et l’oubli tomba lentement sur ces épisodes sanglants car nul ne signala plus le passage du baron. On pensait qu’il s’était réfugié chez les Godommes. Je comprends maintenant que ton père lui avait donné asile. Ce fut heureux pour toi car tu ne pouvais avoir de meilleur maître d’armes.

Henri secoua la tête pour chasser ces images du passé.

— Pensons maintenant à l’avenir ou plus exactement à ton avenir. En triomphant, tu t’es fait au moins deux ennemis mortels, la princesse et le connétable. Nul doute qu’ils vont exiger ta tête du roi et je ne sais s’il pourra ou osera s’opposer à leur demande pour ne pas compromettre un pouvoir encore mal assuré. Il serait prudent de t’éloigner en attendant que le scandale se tasse.

— Je ne veux pas fuir, s’exclama Yvain. J’ai loyalement combattu et le Grand Prêtre m’a déclaré vainqueur.

Un sourire féroce étira les lèvres du capitaine.

— Le Grand Prêtre soutiendra celui qui lui promettra le plus d’argent et dans ce domaine la princesse et le connétable sont beaucoup plus riches que toi.

Sa voix se fit sèche et tranchante quand il reprit :

— Voilà les ordres que je te donne. Tu prendras la tête d’un peloton d’une vingtaine de cavaliers. Tu t’écarteras de la route que doit suivre l’armée godomme en te dirigeant vers les marais maudits que tu longeras. Surtout ne t’y aventure pas car nul n’en est jamais sorti. Puis, tu obliqueras pour retrouver la route après le passage des Godommes. Là, tu reprendras la tactique qui t’a réussi et attaqueras les petits éléments pour créer une zone d’insécurité sur les arrières ennemis.

Yvain hésita un moment avant de murmurer :

— J’aurais voulu présenter personnellement ma défense.

— Je me charge d’exposer la situation au roi. Crois-moi, c’est la meilleure solution.

Yvain portait toujours les effets que le roi lui avait donnés. Henri grogna :

— Choisis dans ma garde-robe des vêtements plus adaptés à une campagne longue et difficile.

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